In Nomine Patris et Fili et Spiritus Sancti - Partie 4

La semaine suivante, je jetais de temps en temps un coup d’œil à ce bouquin. J’y allais doucement, les pages ne semblaient pas très solides. De toute évidence, ce petit grimoire avait beaucoup vécu. Je pouvais lire quelques notes manuscrites, en français, par-dessus le texte d’origine. On dirait même qu’il y a plusieurs types d’écritures… Qu’importe, ça lui donnait une âme ! Il y avait une magnifique étoile de David de dessinée, mais quelque peu différente de celle que j’avais pu voir lors des études religieuses. Elle ressemblait à peu de choses à ça…

J’ai découvert qu’il s’agissait du Sceau de Salomon. Il aurait plusieurs traductions en fonction des différentes formes qu’il peut revêtir. J’apprenais à l’aide de ce « grimoire » et d’internet, que le Sceau de Salomon est lié au Pentagramme. Ce dernier étant une représentation du microcosme, le premier, du macrocosme. Mais ça ne s’arrêtait pas là. Il peut être utilisé comme un puissant bouclier et comme symbole d’action magique. Je rangeais le grimoire et pendant plusieurs semaines, je dessinais cet hexagramme, à tout va, essayant les différentes versions, tâchant de comprendre ce que chaque élément pouvait représenter, signifier. C’était devenu une obsession, maîtriser ce symbole occulte…

Un soir, alors que j’étais en étude obligatoire, il ne devait pas être loin des 21h15, j’avais fini mon travail et j’avais saisi une feuille de papier sur laquelle je m’appliquais à redessiner le sceau, tel que je l’avais vu dans le grimoire.

« Hey… psssit…. »

Je relevais la tête. Sur ma droite, rien, des élèves qui papotait discrètement. Sur ma gauche, il y avait une fille, assise à deux places de moi, qui me regardait fixement. Brune, cheveux mi long, d’origine africaine avec un certain charme. C’était elle qui m’interpelait. Elle continua en chuchotant…

« Je peux venir à côté de toi ? »

« Oui, si tu … veux. »

Je n’avais pas eu le temps de finir ma phrase qu’elle s’était déjà levée de son siège et s’apprêtait à reculer la chaise à côté de moi.

« Tu es dans la pratique d’en haut ou d’en bas ? »

Alors là, je me retrouvais quelque peu dans le brouillard. Je ne la connaissais pas, on ne s’était jamais adressé la parole. Je savais simplement qu’elle était en première littéraire. Elle me répéta la même phrase, en tapotant du bois du doigt le Sceau de Salomon. Elle le connaîtrait ? Elle pratiquerait ? Je ne m’étais jamais dit qu’il pouvait y avoir un sens à ce symbole. Au moment où elle allait me répéter une troisième fois sa question, je lui répondis machinalement :

« La précision est essentielle, mais je ne peux prendre parti dans un sujet si vaste et qui  m’est inconnu. Je suis donc dans l’attente et de ce fait, sur la voie du milieu »

Elle sourit du coin des lèvres, ne me quittant pas du regard, s’en était presque gênant. Je me demandais quand même pourquoi cette question. Etait-elle seule ? Faisait-elle parti d’un groupe ?

« Je vais en parler, et je reviendrai te dire ce qu’il en est »

De quoi ? La sonnette retentit, il était 21h30. Je tournais la tête vers le surveillant, à l’avant de la salle, attendant qu’il nous permette de ranger nos affaires pour partir, ce qu’il fit sur le champ, et quand je me suis retourné pour demander à cette fille qui elle était, et ce qu’elle voulait dire par « ce qu’il en est », elle était déjà partie, la porte au fond de la salle d’étude entrebâillée, signe qu’elle venait de l’emprunter.

Avant de monter au dortoir me préparer pour me coucher, j’ai pris le temps d’aller dans la cours, m’aérer un peu. On se serait cru dans un cloître. Je la cherchais du regard, mais je ne la voyais nulle part. J’avais halluciné ou quoi ? Ne voyant toujours rien, j’ai rangé mes affaires dans mon casier et je décidai de rejoindre mon dortoir, à l’opposé de celui des filles.  Avant de m’endormir, je repris le grimoire, histoire de le feuilleter un peu plus et voir s’il y avait quelque chose d’écrit sur cette histoire de haut et de bas. Mais rien ne transparaissait dans les lignes, si ce n’est une référence à Hermès Trismégiste et à la Table d’Émeraude. Et là, il y avait encore une de ces notes manuscrites qui disait :

« Ce qui est en Haut et comme ce qui est en Bas »

Le tout raturé et dans la marge, quelques mots alignés

« Parabole »,  « Traduction erronée ?»,  « 2 est 1,  tout est 1 ».

Me voilà bien avancé avec tout ça. Je fermai le livre et m’endormis, en quelques secondes.

Le lendemain, j’avais la tête ailleurs. J’étais obsédé par cette fille et ce que j’avais lu dans le grimoire. La journée passa à une vitesse folle, je n’ai rien vu, j’étais à côté de la plaque. Avant le dîner, vers 19h00, elle était là, à nouveau, devant moi.

« Salut Marius, tu veux bien venir avec moi, j’ai du monde à te présenter »

Sans rien dire, je la suivi. Nous traversions le corridor qui mène au jardin d’hiver. Devant la véranda, il y avait 3 autres élèves, deux filles et un garçon.

« Marius, je te présente Céline, Elena et FX »

Ils me saluèrent tous en même temps, sans trop de sourire, rien qui ne me mette vraiment à l’aise. Mais je gardais la face, en leur répondant à mon habitude, droit, la tête haute et la voix grave.

« Au fait, moi c’est Audrey. Je ne m’étais toujours pas présentée, excuse moi… j’étais trop excitée en voyant qu’il y avait un autre enfant de l’Ombre »

« Enchanté Audrey. Par contre, « Enfant de l’Ombre » ? Je suis navré, mais sur ce coup je ne te suis pas. Ca parait bien darkos tout ça »

Ils se mirent tous à rire à mes mots.

« Non non, ça n’a rien à voir. Nous entendons Enfants de l’Ombre celles et ceux qui osent sortir des sentiers éclairés de l’obéissance commune. Pour préciser, hormis Elena qui est de tendance sataniste, aucun de nous n’a un penchant plus marqué par les Ténèbres ou la Lumière »

« Mais pourquoi m’avoir fait venir ? Pourquoi tant de mystère ? »

« Je voulais savoir si tu pouvais nous rejoindre. D’après les premiers examens de Céline, ça se montre plutôt positif. Il ne reste plus qu’un test à faire, et pour ça, il fallait que tu sois présent »

Je me disais que déjà nous croulions sous les exams’ traditionnels des cours, il fallait en plus que je me mette à justifier de je ne sais quoi devant des inconnus ! Mais ça allait s’avérer bien plus amusant.

« En quoi consiste cet examen ? »

« Céline, je te laisse t’occuper de lui »

«T’occuper de lui » ??? Elle compte me faire quoi ???

« Marius, si tu veux bien me donner ta main dominante s’il te plaît. »

Je lui tendais ma main droite, elle s’en emparait au niveau du poignet. Audrey me parlait en même temps et me demandait si ça m’intéresserait de les rejoindre. Au moment où j’exprimais mon interrogation et mon envie de voir ça de plus près, je sentais une douleur vive dans ma main. Céline m’avait entaillé avec une dague aiguisée.

« Non mais ça va pas !! Qu’est-ce que tu fou ? »

« Ne t’inquiète pas Marius, j’ai juste besoin de ton sang pour ce qui doit suivre. Et je ne pouvais pas le prendre de plusieurs manière, je devais respecter un rite particulier et surtout, garder le silence pour être concentrée sur mon acte »

« Oui et bien, la prochaine fois, j’aimerai être mis au courant avant que vous ne tentiez quoique ce soit sur moi ! »

Céline saisit un bol qui devait être en cristal. Il était rempli d’eau et de pétales de fleurs. Elle y trempa la lame de la dague, et la tourna dans le récipient, tout en marmonnant une incantation.

François-Xavier, que l’on appelait FX, me tendit une bougie que je devais badigeonner de mon sang. Elena m’apporta des allumettes et me fit allumer cette sanguinolente bougie.

« Maintenant Marius, concentre toi sur l’idée de nous rejoindre, d’être un Enfant de l’Ombre, porteur de sa propre Lumière. Quand tu te sentiras prêt, alors tu jetteras ta bougie dans le bol »

Je me sentais un peu pris au dépourvu, et je ne voyais vraiment pas ce que ça pourrait apporter que je mette cette bougie dans le bol… ça va faire un truc à la Charmed, une petite explosion et hop, la potion magique est prête ? J’étais assez sarcastique, mais c’est une façon comme une autre de se protéger, non ? Je me concentrais sur que m’avait dit Céline, je sentais mon cœur battre dans ma cage thoracique, les pulsations allaient jusque dans ma main, avec une douce vague de chaleur. Je fixais la flamme, un instant, j’ai cru qu’elle avait augmenté en intensité… J’approchais la bougie du bol et la lâchais d’un coup.

Céline replongea la dague et la fit tournée en huit. Elle se leva, tendit le bol en avant. Tout le monde se mit autour d’elle.

« Parques, acceptez cette offrande de lumière sacrée impulsée par la source de vie, et révélez nous ce que nous cherchons à savoir »

J’étais assailli de différents sentiments. L’envie de rire, la peur, l’excitation… Ils firent tous un geste de salut et Céline renversa le contenu du bol au sol. Elena alluma une lampe torche et ils se penchèrent là où tout s’était écoulé. Céline examinait soigneusement la position des pétales, les tâches, les formes de cire, l’orientation de la bougie. Elle me regarda, étonnée et songeuse…

« Les signes sont à la fois clairs et confus. De Toute évidence tu peux te joindre à nous, mais une zone d’obscurité nous empêche de savoir quelle sera ta position dans le cercle »

À ça je lui rétorquais tout en souriant :

« Peut être parce que certaines choses me sont privées. Ainsi, tu as ta vie et j’ai la mienne. Ou alors, tu n’as pas été assez précise dans ta formulation »

Ils éclatèrent de rire…

« Au moins, on ne peut pas dire que tu  manques de répondant. Allez, tu es notre frère maintenant, si nous allions fêter ça en mangeant un bout ! »